Je suis cité 2 fois dans cet article ...
Analyse
Tesla : les leçons d'outre-tombe d'André Citroën
La
marque aux chevrons fête ses cent ans. L'occasion de revenir sur
l'épopée Citroën - qui, en quinze ans seulement, devint l'un des plus
gros industriels européens avant de s'écrouler en quelques mois. Une
leçon de l'histoire automobile qu'Elon Musk et Tesla feraient bien de
potasser…

En
1929, Citroën compte 32.000 salariés, pèse 42 % de la production
française et a tissé une toile industrielle dans toute l'Europe.
(Citroën)
Publié le 9 juil. 2019 à 14h10
Mis à jour le 9 juil. 2019 à 15h28
Que
restera-t-il de Tesla dans cent ans ? Tout dépendra des prochaines
années, celles qui enverront le fabricant de voitures électriques et
Elon Musk dans le livre d'or de l'automobile ou dans les oubliettes de
l'histoire - selon que le Californien parvienne ou non à proposer une
gamme complète et abordable en résolvant son souci lancinant de
production. Afin de maîtriser son destin, le nouveau trublion du secteur
ferait bien de méditer les heurs et malheurs de Citroën.
La marque aux deux chevrons fête en ce moment son centenaire. A cet âge respectable, Citroën demeure une icône de l'industrie française.
Ce qui est moins connu, c'est que la marque était dans ses vertes
années une empêcheuse de tourner en rond. Et André Citroën, le père
fondateur, un proto-Elon Musk des Années folles, même si la presse
américaine l'appelait à l'époque « le Ford français ».
Démocratiser l'auto
Pour
mieux saisir le parallèle entre André et Elon, il faut se rendre dans
le dédale d'entrepôts jouxtant Roissy. La visite du conservatoire André
Citroën permet de comprendre l'envol et la chute du constructeur de
Javel.
En
1919, le polytechnicien français, qui avait monté l'une des plus
grosses usines d'obus du monde durant la Grande Guerre, lance les
Automobiles Citroën avec en tête la volonté de proposer des voitures
populaires - le but avoué de Tesla étant de rendre la voiture électrique
accessible. « Mon grand-père voulait démocratiser l'auto »,
nous confirme Henri-Jacques Citroën. Son aïeul sortit son premier
modèle quelques mois après l'armistice de Rethondes. Un pavé dans la
mare : la 10 HP Type A, c'est la première voiture européenne de grande
série, prête à l'usage, avec des phares, une roue de secours et un
démarreur électrique dans la version de base.
Parti
sur les chapeaux de roue, Citroën creuse sans relâche son sillon de
l'innovation. Monsieur André invente les crédits auto, révolutionne la
réclame en affichant son nom, plusieurs années durant, sur la tour
Eiffel, monte les croisières noire et jaune suivies dans tous les
cinémas français, inaugure la voiture en acier, le moteur flottant et la
traction avant en Europe, crée le premier réseau de concessionnaires
exclusifs ou soigne les acheteurs de véhicules utilitaires, le service
après-vente et l'entretien…
La
méthode du pionnier universel paie : en 1929, Citroën compte
32.000 salariés, pèse 42 % de la production française et dispose d'une
toile industrielle dans toute l'Europe. En 15 ans seulement, Citroën est
devenu un poids lourd du palais Brongniart. Comparé au succès d'André,
Elon reste pour le moment un amateur.
Plus dure sera la chute…
Mais
l'intendance ne suit pas. Si Citroën sait fabriquer des voitures à la
chaîne plutôt mieux que les autres, les finances sont moins
florissantes. André Citroën demandait à ses directeurs d'utiliser
systématiquement 100 % de leur budget, réclamait des prises de risque
permanentes, voyait toujours les choses en très grand. Amateur de
casino, il a pu lui arriver de laisser une voiture en pourboire… Malgré
son succès commercial, la cigale Citroën reste dépendante des banques.
Le
crash intervient quelques années plus tard. Ebaubi par la nouvelle
usine de Renault, à Boulogne-Billancourt, André Citroën décide de
refaire celle du quai de Javel de fond en comble, en quelques mois.
Alors que la crise économique des années 1930 frappe la France et le
marché automobile, alors qu'il dépense déjà des fortunes pour concevoir
la fameuse Traction Avant. Pris à la gorge par les banquiers, André
Citroën perd sa créature. La famille Michelin prend le volant en 1935.
Le fondateur s'éteint presque aussitôt, les poches vides. La fourmi
Renault reprend son sceptre de premier constructeur français, et Citroën appartient aujourd'hui à Peugeot, l'industriel doubiste qui ne pesait pas grand-chose à l'époque.
Citroën,
Tesla, même combat, même issue ? André Citroën et Elon Musk ont fait
bouger les lignes de l'industrie. Tous les deux sont des communicants
hors pair. Tous les deux sont des vedettes. Et tous deux ont ou avaient
besoin d'un petit angelot sur leurs épaules, capable de leur souffler
assez fort à l'oreille qu'il faut parfois se plier aux exigences du
réalisme. Le garde-fou d'André s'appelait Georges-Marie Haardt. Il est
mort fiévreux en 1932, à la fin de la Croisière jaune. Avec lui, jure
Henri-Jacques Citroën, l'affaire familiale n'aurait peut-être pas fait
faillite et succombé à sa fuite en avant.
Deux
générations plus tard, Elon Musk innove aussi à tous crins, s'éparpille
parfois, consomme ses directeurs comme des mouchoirs jetables et reste,
surtout, très dépendant de ses investisseurs - étant quasiment toujours
déficitaire. Ces créanciers ont misé, souvent gros, sur le succès à
long terme de Tesla. S'ils se déjugent devant la difficulté de
s'implanter pour de bon dans l'épuisante industrie automobile, le vent
peut tourner très vite pour le constructeur californien, qui sera alors
forcé de trouver un giron accueillant faute d'avoir su mûrir. Pour ne
pas voir l'histoire se répéter à un siècle d'écart, Tesla doit retenir
la leçon de Citroën.
Julien Dupont-Calbo
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire